Les longs voyages d'Anna et Marie B

Le requin pèlerin est le deuxième plus gros poisson au monde après le requin baleine. Quand il se nourrit, ce requin nage gueule grande ouverte et filtre l'eau pour en extraire le zooplancton. Il est donc parfaitement innofensif, même si sa gueule ouverte est extrêmement impressionnante. Longtemps pêché pour l'huile de son foie, il reste menacé même s'il n'est plus pêché : chaque année, des requins pèlerins sont victimes de captures accidentelles par des bateaux de pêche ou de collisions avec des navires.
photo : M. Simonet-APECS
 

Les requins pèlerins se rencontrent en surface surtout dans les eaux tempérées et froides. Ils sont capables de parcourir plusieurs milliers de kilomètres en quelques mois, et font des allées et venues entre le fond et la surface. Les balises Argos ont permis d’en connaître un peu plus sur ces voyages et ces plongées, quand les requins sont en surface avec des balises classiques qui émettent directement vers le satellite, et quand ils sont en profondeur grâce à d'autres balises, appelées " marques archives ". Ces "marques archives" permettent d'enregistrer ce qui se passe quand les animaux sont sous l'eau : l'intensité de la lumière, la profondeur, la température et dans certains cas le champ magnétique terrestre. Ces balises se détachent de l'animal et sortent de l'eau grâce à un petit flotteur au bout d'un temps programmé à l'avance. Les données enregistrées sont alors récupérées grâce au système Argos, et la trajectoire parcourue peut être estimée
Les déplacements des requins pèlerins semblent être guidés par la recherche de nourriture, même si on ne sait pas trop comment ils en détectent la présence.

L’Association pour l’étude et la conservation des sélaciens (APECS) étudie les requins pèlerins depuis sa création. Depuis 2009, l’association suit les déplacements des requnins pèlerins en les équipant avec des balises Argos. Les premières balises utilisées étaient des marques archives. Depuis 2015 (programme Pelargos) de nouvelles balises sont utilisées, qui transmettent quasiment en temps réel la position du requin lorsqu’il est en surface. Au total douze balises ont été posées entre 2009 et 2020 sur des requins pèlerins par l’APECS sur les côtes bretonnes.

Anna Pèlerine (2016-2017)

Entre 2016 et 2017, une femelle, Anna Pèlerine est allée du large de la Bretagne et vers celui du Cap Vert. Après son marquage en Bretagne au printemps 2016, elle est allée vers le nord, à l’ouest des îles britanniques durant l’été. Elle avait ensuite passé l’automne en profondeur et était revenue en surface au sud des côtes marocaines en février 2017 avant de poursuivre sa route vers le golfe de Gascogne au printemps, zone où la balise s’était décrochée après 368 jours de suivi.



Quatre étapes du trajet d'Anna Pèlerine, superposé à des cartes de chlorophylle : en mai 2016 lors de son équipement au sud de la Bretagne (point rouge), en septembre 2016, elle n'est pas très loin de zones riches en phytoplancton (qui le sont souvent aussi en zooplancton), près du Maroc en février 2017, elle est en plein dans la zone très riche liée à une remontée d'eaux froides ("upwelling") qui est connue pour être une zone très poissonneuse ; en mai 2017, elle refait surface également en bordure d'une zone de forte concentration en chlorophylle (à noter, le trait droit rouge ne correspond pas à un trajet réel, il est tracé entre le dernier point où elle avait été détectée, et le point suivant ; trois mois se sont écoulé entre les deux).
 

Marie B, Bazil et Fanch

En mai 2018, trois requins pèlerins ont été équipés de balises Argos au large de la Bretagne : deux mâles, Bazil et Fanch, et une femelle, Marie B. Bazil et Fanch n’ont été suivis que jusqu’à l’été 2018. Marie B, elle, bat des records : après être restée quelques jours au sud de la Bretagne, elle a poursuivi son chemin vers la Mer du Nord, un secteur où on n'avait jamais localisé un requin pèlerin équipé d'une balise jusque là. Marie B a ensuite disparu pendant neuf mois pour finalement ressurgir début avril 2019 au large du Cap-Vert, bien plus au sud qu’aucun autre requin équipé d'une balise en Atlantique Nord-Est. Elle a refait à nouveau surface, huit mois plus tard, au large du Portugal, avant de poursuivre sa route vers le nord dans le sud du Golfe de Gascogne, puis sur les côtes bretonnes et même de nouveau jusqu’en Mer du Nord depuis mi-mai 2020 !
Marie B avait également été équipée d’une marque archive, ce qui a permis de connaître son trajet pendant un an, y compris quand elle était dans trop en profondeur pour être suivie en direct.



On note le même genre de correspondances pour Marie B : elle est souvent détectée en surface dans des zones riches en cholorophylle : en mai 2018 lors de son équipement (dans la même zone qu'Anna Pèlerine), en juin 2018 (en bordure d'une zone riche en phytoplancton), son retour vers l'Europe en février 2019 également, au large du Portugal comme la dernière localisation d'Anna Pèlerine, et son séjour en avril 2020 dans le golfe de Gascogne au milieu d'une zone très riche, d'autant plus qu'elle se situe à l'embouchure de la Garonne. En septembre 2019 et mai 2020 elle retourne dans la même zone qu'en juin 2018.
 

Ces suivis mettent en évidence les très longs trajets réalisées par les requins pèlerins et permettent de découvrir qu’ils fréquentent des zones où on ne les avait jamais vus. Bien que près de 150 balises aient été déployées par diverses équipes de recherche en Atlantique Nord-Est, ces localisations montrent qu’il reste encore beaucoup d’inconnues sur les requins pèlerins. Les efforts engagés au niveau international doivent se poursuivre pour résoudre les mystères du requin pèlerin et garantir sa préservation.