Les tortues marines dans le golfe de Gascogne
De jeunes tortues de mer sont signalées en détresse sur les côtes ou dans les eaux du golfe de Gascogne, des mers Celtiques et de la Manche-mer du Nord. Elles sont ensuite prises en charge et soignées à l'Aquarium La Rochelle, pour être relâchées quand elles sont aptes. Depuis 2008, quelques-unes ont été équipées d'une balise Argos avant leur retour à l'océan, et la plupart de ces dernières ont été suivies par Argonautica.
Les eaux du Golfe de Gascogne sont cependant a priori trop froides en hiver pour la plupart des espèces de tortues marines (sauf les tortues Luth qui peuvent supporter des eaux plus froides), même si elles y ont été observées toute l'année. Les scientifiques se posent donc la question de savoir si cette zone correspond en fait à leurs besoins, ou si elles sont là par accident.
Entre 2008 et 2020, 66 jeunes tortues ont été signalées, surtout en hiver, puis soignées au CESTM (Centre d'Études et de Soins pour les Tortues Marines) de l'Aquarium La Rochelle. . Parmi elles, 28 ont été équipées d'une balise Argos puis relâchées près de La Rochelle, principalement des tortues caouannes (23 tortues), mais également quatre tortues de Kemp et une tortue verte.
Parmi ces tortues, Argonautica a suivi au fil des années :
Antioche,
Bambi,
Bouton d'Or,
Chacahé,
Danaé (tortue de Kemp),
Delta (tortue de Kemp),
Domino,
Ecume,
Flamme,
Flot (tortue verte),
Francesca,
Fûté (tortue de Kemp),
Globe-Héléna,
Horia,
Icare,
Indigo,
Iodée,
Jupiter (tortue de Kemp),
Karolina,
Kawaii,
Kemen,
Kercambre,
Légende,
Moana
(À noter que les deux dernières dont le suivi a commencé fin juin 2022 et est encore en cours en août 2022 ne font pas partie de l'étude, publiée fin 2021).
De plus, 33 années d'observations (1988-2020) par le CESTM, grâce notamment au Réseau Tortues Marines Atlantique Est qu'il coordonne et anime, incluant un total de 449 observations de tortues marines juvéniles ont été utilisées pour comprendre comment et quand elles "utilisent" les eaux françaises du golfe de Gascogne.
Les tortues suivies par Argos ont parcouru des chemins assez différents, mais quatre grandes directions ont été identifiées : golfe de Gascogne, Nord, Sud et Ouest. La direction "golfe de Gascogne" indique les tortues qui sont restées dans la zone et pourraient peut-être y résider pour une période longue (11 tortues, parmi lesquelles Bambi,
Chacahé,
Danaé,
Delta,
Domino,
Flot,
Indigo et
Kawaii).
La direction "Nord" indique les tortues qui sont allées vers le Nord (trois tortues, parmi lesquelles Fûté et Jupiter), et de même pour "Sud" (trois tortues également, se dirigeant vers le Portugal, la mer Méditerranée et le Sahara occidental : Antioche,
Francesca,
et Globe-Héléna) et l'Ouest (10 tortues, parmi lesquelles Bouton d'Or,
Ecume,
Flamme,
Horia,
Icare,
Iodée,
Karolina,
Kemen,
Kercambre). Ces dernières ont migré ouest/sud-ouest dans l'océan Atlantique, probablement vers leurs plages natales. Leur suivi a été perdu autour des Açores, des Canaries ou même des Bermudes (Icare), selon les cas.
Pour les derniers suivis encore en cours, Moana semble rester pour l'instant dans le golfe de Gascogne, tandis que Légende est partie plutôt vers le sud-ouest et a dépassé le cap Finisterre en Espagne.
Tous les trajets de tortues relâchées par le CESTM et suivis dans Argonautica. Les différentes couleurs reprennent les groupes mentionnés plus haut et commentés ci-dessous.
Des comparaisons avec des données océaniques ont été effectuées.
Pour toutes les tortues suivies, on note des différences dans les directions et les vitesses par rapport à celles des courants océaniques, ce qui montre que les tortues se déplacent activement et ont la force de le faire dans d'autres directions que celle du courant (elles ne se font pas juste "porter par les courants", même si leurs déplacements peuvent au final suivre ceux-ci). La vitesse de nage de chaque tortue a été calculée par soustraction de la vitesse du courant océanique par rapport à la vitesse obtenue à partir des positions.
Les plus petits individus semblent préférer des eaux plus froides que les plus grands. Plus généralement, près de la moitié des localisations enregistrées sont associées à des eaux comprises entre 15 et 20°C, seulement 18% sont en dessous de 15°C.
Groupe "golfe de Gascogne"
Les trajets des tortues relâchées par le CESTM et suivis dans Argonautica qui sont restées dans le golfe de Gascogne
Les plus petites tortues sont celles qui restent dans le golfe de Gascogne. L'analyse des vitesses de nage montre que les tortues relâchées et suivies auraient les capacités physiques pour ressortir du golfe de Gascogne. Elles y restent donc volontairement, probablement du fait de la présence de nourriture, surtout en été et en automne bien que les températures en hiver soient un peu trop basses.
Les trajets de Bambi et Kawaii, superposés à la Chlorophylle mesurée par satellite pour la fin du trajet. On voit la forte concentration près des côtes, en particulier à l'embouchure des fleuves qui se jettent dans le golfe de Gascogne.
Cependant, toutes les tortues recueillies étaient en détresse lorsqu'elles ont été trouvées, ce qui pourrait être lié à des conditions environnementales ne leur convenant pas. Mais assez peu de tortues sont secourues tous les ans au final, ce qui laisse penser que la température en hiver n'est peut-être pas un si grand problème pour la plupart d'entre elles. D'autres raisons, comme la pollution marine (par exemple les déchets marins qu'elles peuvent avaler ou dans lesquels elles peuvent s'enchevêtrer) ou encore les captures accidentelles par des engins de pêche actifs ou passifs peuvent expliquer l'observation d'individus en détresse.
Groupe "Ouest"
Dans ce groupe on trouve les tortues les plus grandes. La localisation la plus lointaine vient d'Icare, qui a atteint les îles Bermudes où sa balise a cessé d'émettre (voir Icare, destination Bermudes ?). Ces îles pourraient être une escale avant d'atteindre la plage de ponte en Floride ou un lieu d'alimentation permanent.
Le trajet de Iodée, qui s'est interrompu vers les Açores.
Groupe "Nord"
Trois des tortues suivies se sont dirigées vers le nord, dans des zones où la température est extrêmement inadaptée (inférieure à 8°C). Deux d'entre elles étaient des tortues de Kemp, dont Jupiter (voir Jupiter, une tortue de Kemp met cap au nord). La raison de leur voyage vers le nord n'est pas claire - désorientation, masses d'eau exceptionnellement productives et/ou chaudes conduisant ces tortues à aller plus au nord qu'elles ne l'auraient fait normalement,les hypothèses ne manquent pas. D'autres suivis, et en particulier de tortues de Kemp pourraient aider à mieux comprendre ce comportement.
Groupe "Sud"
Le trajet de Globe-Héléna, superposé à la chlorophylle mesurée par satellite peu de temps avant son arrêt.
Ce groupe est assez divers. Globe-Héléna a été localisée pour la dernière fois dans une zone très riche en nourriture, où se situent des remontées d'eaux froides (upwelling) qui en font une des grandes zones de pêche de l'Atlantique Nord. Antioche, quant à elle est entrée en Méditerranée (voir Tortues Caouannes : Bambi et Antioche). Le suivi de Francesca s'est interrompu trop tôt pour juger de sa "destination".
Pour en savoir plus
L'article scientifique : Chambault P, Gaspar P and Dell'Amico F (2021) Ecological Trap or Favorable Habitat? First Evidence That Immature Sea Turtles May Survive at Their Range-Limits in the North-East Atlantic. Front. Mar. Sci. 8:736604. doi: 10.3389/fmars.2021.736604 https://doi.org/10.3389/fmars.2021.736604